Auguste Herbin, la majesté de la peinture
Auguste Herbin a été le grand maître de l’abstraction géométrique en Europe, de 1945, au lendemain de la Libération, à 1960, date de sa disparition. Cette période fut la plus accomplie de tout son œuvre commencé au début du XXe siècle dans la suite du pointillisme, poursuivi avec le fauvisme puis le cubisme dont il a été
avant 1914 l’un des représentants majeurs.
Les tableaux que peint alors Herbin, strictement abstraits, composés de formes géométriques simples et vivement colorées, qui sont disposées dans le plan et réparties à l’intérieur d’une grille orthogonale, s’imposent par l’équilibre donné dans leur structure, le rythme de leur composition, les rapports entre leurs formes
et leurs couleurs, leur exécution parfaite et, ce qui est important, leur frontalité.
C’est le privilège de la galerie Lahumière de pouvoir offrir dans cette exposition un choix de 10 tableaux peints de 1948 à 1957 parmi les plus représentatifs de cette période, dont la célèbre composition Vendredi II de 1951, qui a été vue dans le monde entier après sa première présentation dès cette même année au Salon des
Réalités nouvelles à Paris, puis reproduite dans de nombreux ouvrages comme
exemple de son art.
Auguste Herbin a alors codifié son langage, sans que l’on puisse le qualifier de système : il a défini un vocabulaire associant les formes et les couleurs et mis au point une grammaire, c’est-à-dire une manière de les assembler, qu’il intitule « Alphabet plastique », dont il publie en 1948 les principes dans son livre L’art non figuratif - non objectif (Paris, Édition Lydia Conti). À partir d’un thème, un nom, une lettre, un chiffre, il compose ses tableaux en s’appuyant sur sa théorie : largement fondée sur la recherche d’un langage universel, elle est destinée selon lui à être comprise et susceptible d’être utilisée par tous. Ses compositions sont minutieusement étudiées à partir du dessin tracé à la règle et au compas, annoté avec précision pour le choix des couleurs avant d’être traduit à la gouache en petit format, puis exécuté à la peinture à l’huile sur la toile au format choisi
généralement de belle taille.
C’est ce que montre la galerie Lahumière dans sa présentation où le tableau définitif se trouve ici accompagné de son dessin préparatoire et de son étude à la gouache. Cette réunion est riche d’enseignements car elle fait bien apparaître dans le calcul rigoureux qui gouverne chaque œuvre la part d’improvisation qui subsiste : tout est ordonné, mais tout peut être changé selon la sensibilité, l’œil de l’artiste et, pourrait-on dire, selon son inspiration, si un tel mot n’était pas impropre dans ce contexte. La place des cercles, des demi-lunes, des triangles, des carrés, leur proportion, leur couleur peuvent être modifiées, du dessin à la gouache puis au tableau. Ces changements vont du format vertical à celui horizontal pour le tableau A de 1955 ; ils portent sur des points précis pour le tableau Noël de 1949 où les éléments passent de gauche à droite, sont étirés dans la hauteur et leurs proportions modifiées. Peu de variations en revanche pour la peinture Été de 1952. Quant au magnifique tableau Parfum II de 1954, sa composition a gagné en netteté, toutes les formes étant bien détachées par rapport à la gouache qui apparaît in fine plus confuse.
Où l’on voit une pensée à l’œuvre. Où l’on côtoie le processus de la création. Où l’on découvre que dans l’art le plus contraint, il y a place pour le changement.
Auguste Herbin a exercé à cette époque si riche en événements artistiques dans le monde une influence considérable : ses tableaux en sont à l’origine, forts de leur majestueuse présence. Les théories de l’artiste ont aussi beaucoup compté et son livre lu, commenté et son contenu interprété. Sa personnalité enfin a joué
indéniablement un rôle, affirmé au sein du Salon des Réalités nouvelles dont il était l’animateur, ainsi que l’accueil qu’il réservait aux jeunes artistes venus lui rendre visite.
Plus que ses disciples tel Henri Lhotellier, ils sont nombreux les artistes qui à partir de son œuvre ont su trouver leur voie et devenir à leur tour de grands créateurs, en France, Belgique, Allemagne, en Scandinavie et jusqu’en Islande. Aurelie Nemours, Jean Dewasne, Carlos Cairoli, Georges Folmer, Vera Molnar, Nicolas Schöffer, pour citer en France quelques-uns de ces principaux artistes parmi lesquels figurera à partir de 1960 Victor Vasarely lui-même quand il créera son propre « Alphabet plastique ». Geneviève Claisse, sa nièce et qui fut son assistante dans la dernière année de sa vie, saura par la suite développer son art de façon personnelle et très variée. En Belgique Jo Delahaut, en Allemagne Günter Fruhtrunk, en Suède Olle Baertling, en Finlande Lars-Gunnar Nordström, en Islande Erikur Smith sont les noms qui s’imposent parmi les grands artistes de l’époque, la peinture de Baertling par exemple représentant bien l’équivalent européen de celle des artistes nord-américains contemporains parmi lesquels il faut citer - enfin ! - le nom de Carmen Herrera.
La liste est impressionnante et elle ne s’arrête pas : dans la génération suivante, ce sont Alejandro Otero, Jean Tinguely, Pol Bury, Yaacov Agam, les membres d’Equipo 57 qui doivent être mentionnés et deviendront les chefs de file de l’art cinétique.
Peut-on ignorer Auguste Herbin, l’une des gloires de l’art français ?
Serge Lemoine
Le 3 août 2022
Auguste Herbin, la majesté de la peinture