Jean-François Dubreuil
Leurres et bonheurs d’un artiste conceptuel
Les tableaux de Jean-François Dubreuil sautent aux yeux. Couleurs franches, rectangles juxtaposés, fonds saturés d’aplats ou bien dotés de blancs plus ou moins cassés de gris, de jaune, où les parallélépipèdes prennent place, cernés de ces mêmes couleurs qui, ailleurs, occupaient tout le fond, parfois croisés de diagonales. L’effet ainsi produit classe d’emblée cette peinture du côté d’une abstraction géométrique que l’on croyait révolue, n’étaient quelques résistants engagés dans l’au-delà, ou l’en-deçà, on ne sait, de l’histoire. Cependant, à y regarder de plus près, ou plus longtemps, quelque chose cloche dans cette évidence, mais quoi ? Si les leurres ne manquent pas au cœur de cette œuvre, une première observation, et qui autorise toutes les autres, s’impose. Jean-François Dubreuil appartient à une espèce d’artistes qui hantent la peinture, et singulièrement la peinture française, de la fin du XXe siècle, sans que la plupart du temps on les repère ou les reconnaisse. Cette espèce est celle des peintres conceptuels, crypto-conceptuels pour être plus précis. C’est à partir de cette prémisse que peut s’envisager l’étude d’une œuvre qui, mâtinée de dadaïsme, se joue de l’abstraction académique.
Le journal, en fait, l’intéresse non seulement comme phénomène sociologique mais plus encore comme entité formelle, comme forme toute faite et qui comporte une bonne dose d’aléatoire. Il n’empêche, c’est pourtant bien la presse, ses journaux d’information et ses magazines, ses quotidiens et ses hebdomadaires (rarement ses mensuels), qui lui sert de référent exclusif, de source formelle. Ce goût du journal, de sa lecture, de sa prise en main, de la socialité qu’il suppose, est fondamental chez Dubreuil, profondément inscrit dans sa manière d’être et dans sa vie. Il convient d’y insister dès à présent afin de se parer d’une interprétation par trop mécanique de son travail. D’une certaine manière, Dubreuil aime le journal comme Villeglé aime l’affiche.
Rouge, gris. Et puis noir quand Dubreuil décide, assez rapidement, de traiter aussi les photographies. Cette triple attribution chromatique ne changera plus. Un peu plus tard interviendra la couleur. Il convient de préciser que pour l’artiste, en ce commencement, en ce temps de mise en place du système et de sa méthode, le rouge ni le gris ni le noir ne sont des couleurs, juste des outils de discrimination des surfaces.
En ce qui concerne la littérature et pour s’en tenir à l’exemple français, le rôle qu’a joué, que joue encore, l’Oulipo dans l’élaboration d’un corpus de textes fondés sur un usage actualisé de la rhétorique est fondamental. En ceci qu’il applique à son œuvre une série de contraintes, pour une part, non conformes aux règles habituelles de l’art pictural, et en cela seulement, on peut considérer Jean-François Dubreuil comme un peintre oulipien. Il est cependant loin d’être le seul à avoir, au cours du XX e siècle, puisé dans l’infini réservoir des systèmes et des contraintes où mécanique aléatoire, pur hasard, mais aussi humour et facétie pour certains, occupaient une place centrale.
Jean-Marc Huitorel
Extraits de la monographie
Éditions du regard
Jean-François Dubreuil . Leurres et bonheurs d’un artiste conceptuel