André Stempfel "Je dérange"

Prolongation jusqu’au 11 juillet

Exposition passéeDu 17 mai au 22 juin 2013

Les mouvements modernistes du début du XX° siècle nous ont enseigné que le tableau n’était plus une fenêtre d’illusion mimétique ouverte sur le monde, mais une construction mentale qui se matérialise en un objet bien concret, de forme et d’épaisseur variables, sur lequel on pose des pigments.
Et dès les années 20, Van Doesburg nous a démontré que l’espace du mur participait de la composition picturale. (Composition en trois parties 1920).

Dans la logique de cette voie, André Stempfel s’adonne d’abord à une abstraction géométrique rigoureusement construite, mais dont les éléments rapidement attirés par l’espace, se dissocient pour gagner les trois dimensions.
Ainsi sont subverties les disciplines canoniques de la peinture, de la sculpture et de l’architecture.
Son œuvre se développe simultanément dans tous ces domaines. Depuis les années soixante, parallèlement au travail sur châssis et au travail du châssis, ses interventions dans l’espace public ont été nombreuses.
Cependant, malgré une formation qui passe aussi par le volume, il semble bien que la peinture reste la matrice de tout ce déploiement. Qu’elle s’accroche au mur, qu’elle s’expanse dans un espace architectural ou qu’elle se divertisse avec le socle de la sculpture classique.

Du séquentiel, de la série, qui sont les outils traditionnels de l’Art concret historique, André Stempfel a gardé le principe, mais c’est pour en faire un usage gauchi. Parce qu’au lieu de décliner des permutations rigoureuses, ses séries s’apparentent plutôt à des séquences ludiques et narratives, à des enchaînements de postures au cours desquels ses formes prennent la tangente.
Elles se désolidarisent de la toile qui ne parvient pas à les retenir, se répandent simultanément sur plusieurs supports, s’émancipent.
La structure du tableau elle-même n’est pas épargnée. Les tribulations qu’on lui fait subir vont bien au delà du shaped canevas. Son intégrité est mise à mal. La toile se fend, des éléments s’en échappent, elle se recroqueville, s’enroule, se contorsionne, rebique...
Si la peinture d’André Stempfel semble à première vue sacrifier au jeu du trompe-l’œil, c’est pour en pousser la logique jusqu’à l’absurde, l’excéder en allant jusqu’à la transformation réelle de la toile, jusqu’à la concrétisation matérielle d’une illusion d’optique. Quant à la prouesse du sculpteur, elle consiste à nous faire croire à la souplesse d’une pièce de bois.

Et puisque la composition se fait directement en travaillant l’objet-tableau, le peintre peut se contenter du monochrome et s’en tenir une bonne fois pour toutes à sa couleur de prédilection.
Ce sera le jaune. Pas n’importe quel jaune, mais un jaune tonique, léger et dense comme le condensé d’un faisceau de lumière.
Une dernière rémanence, un point d’adhésion encore au fameux petit pan de mur jaune de la vue de Delft, ou l’écho du bruit jaune de Kandinsky ? Le peintre qui explore et défriche ne doit jamais perdre ses attaches de vue.
D’autres couleurs eussent été sans doute chargées, plus statiques, plus inertes.
Selon le vieux principe du moteur à explosion, plus on compresse, c’est-à-dire plus on réduit les paramètres, plus le résultat est efficace.
Ici, la réduction maximale des moyens, et le caractère énergétique de cette couleur produisent cette dynamique picturale impeccable et joyeuse.

Identifiée au monochrome, la toile se confond bientôt avec la substance pigmentaire. Elle est tout à la fois volume et couleur. Échappant à la condition étale et plane qui est censée être la sienne, la peinture devient une matière vivante, ductile. Forte de sa conscience d’être un objet autonome, elle envahit et perturbe le domaine de la sculpture. Le tableau assumant ses trois dimensions vient s’asseoir sur un socle pour contempler un de ses avatars encore accroché au mur. Subrepticement, elle s’est substituée à la sculpture. Elle en occupe un moment la position d’éminence. C’est une forme vivante, affranchie et délurée, qui se déroule, se love, se glisse sous son piédestal, inverse les rôles avant de le mettre en déséquilibre pour finir par le mettre à bas.
Il semble désormais que dans la peinture d’André Stempfel, l’ordre rationnel construit soit définitivement mis en échec par ce monochrome qui sent le soufre et ne cesse de se dérober, de n’en faire qu’à sa tête.

Pour s’adonner à ce genre de privauté avec le dogme, il faut être d’une précision et d’une rigueur d’exécution absolues. Cela ne peut être que le fruit de l’expérience et de la recherche constantes d’un artiste qui n’a jamais perdu ses attaches historiques mais ne s’est jamais non plus coupé du monde et de l’évolution de son temps.
Ses inventions picturales, qui naissent d’un travail méthodique de dessin, s’emparent du volume et envahissent le domaine architectonique, allient perfection plastique et dérobade jouissive.
André Stempfel nous prouve que les abstractions les plus radicales peuvent être solubles dans l’humour.
C’est sans doute la meilleure façon de prendre la peinture au sérieux.

Hubert Besacier

" Chaque époque d’une civilisation crée un art qui lui est propre et qu’on ne verra jamais renaître. Tenter de revivifier les principes d’art des siècles écoulés ne peut que conduire à la production d’oeuvres mort-nées".Kandinsky

expo_stempfel_1er_2013.jpg
expo_stempfel_2013_detail-2.jpg
expo_stempfel_2013_rdc.jpg

André Stempfel "Je dérange". Prolongation jusqu’au 11 juillet